Flavius Josèphe, Antiquitates judaicae : un manuscrit enluminé pour Georges d'Amboise au début du XVIe siècle
Les Antiquités judaïques, composées en l'an 93 par Flavius Josèphe sur le modèle des Antiquités romaines de Denys d'Halicarnasse, retracent l'histoire de la nation juive depuis la Genèse jusqu'à la veille de la première Guerre judéo-romaine. La riche tradition de ce texte est révélatrice de l'importance qui lui a été accordée comme source de l'histoire de la Judée mais aussi et surtout comme source de l'histoire des débuts du christianisme, dont Flavius Josèphe fut un témoin privilégié.
Les vingt livres des Antiquités judaïques ont été écrits en grec et c'est dans cette langue qu'ils connurent une première diffusion. La traduction latine qui en fut faite par la suite, entre le IVe et le VIe siècle, est très répandue au Moyen Âge – le philologue Franz Blatt en a recensé 171 copies manuscrites. C'est cette traduction qui, la première, a fait l'objet d'une édition imprimée incunable (à Augsbourg, chez Johann Schüssler, en 1470) ; l'édition princeps du texte grec, redécouvert au XVIe siècle, étant datée de 1544. À partir du XIIe siècle, le texte fut par ailleurs traduit en différentes langues vernaculaires – en français notamment sous le règne du roi Charles V.
La Bibliothèque Mazarine conserve une somptueuse copie du texte latin (Ms. 1581). Commandée par Georges d'Amboise (1460-1510), archevêque de Rouen en 1493 et cardinal en 1498, elle est achevée avant 1508 puisque signalée dans la bibliothèque du prélat à cette date. Son commanditaire l’a fait copier sur vélin, historier et luxueusement orner ; le volume comporte ses armes et sa devise, « Non confundas me, Domine, ab expectatione mea » (Psaume 119), en différents endroits, comme dans le phylactère du feuillet 387v. Ce même feuillet porte la trace d'un propriétaire ultérieur, l'évêque d'Angers Henry Arnauld qui, au XVIIe siècle, a fait modifier l'initiale ornée afin d'y faire représenter ses propres armes.
Amateur d'art et mécène, mais aussi principal conseiller du roi Louis XII, Georges d'Amboise encourage les campagnes d'Italie et contribue à la diffusion du goût italien en France. Les transformations architecturales qu'il ordonne en son hôtel de Rouen et son château de Gaillon en témoignent, de même que les ouvrages qu'il fait copier pour sa bibliothèque. Acquéreur d'une partie des manuscrits italiens de Frédéric III d'Aragon, roi de Naples déchu alors en exil en France, il puise dans ce corpus des modèles pour l'élaboration de ses propres manuscrits. L’écriture employée pour son exemplaire des Antiquités judaïques, dite littera antiqua ou humanistique, héritière de la minuscule caroline, ainsi que le choix des ornements, reflètent cette influence.
Les noms des enlumineurs auxquels le cardinal a fait appel sont connus grâce aux comptes de sa bibliothèque. Le Maître de la chronique Scandaleuse et Robert Boyvin, le premier parisien, le second normand, sont les auteurs de respectivement deux et quatre peintures. Les douze autres ont été réalisées par le parisien Jean Pichore, actif dans le premier quart du XVIe siècle comme enlumineur mais aussi comme éditeur et illustrateur de livres d'heures imprimés. Lettres ornées et encadrements sont dus au normand Jean Serpin. Passé maître dans la réalisation de motifs végétaux et de bestiaires imaginaires, il introduit cependant dans le décor de ce manuscrit, à la demande du cardinal, des éléments antiquisants, putti, rinceaux d'acanthes, candélabres et vases, et des éléments d'orfèvrerie, camées et perles notamment (voir par exemple le feuillet 270v). La cohabitation des deux vocabulaires ornementaux situe ce manuscrit des Antiquités judaïques aux confins du Moyen Âge et de la Renaissance et révèle l'effervescence artistique de cette époque.
Anne Weber, Bibliothèque Mazarine