Fluctuat nec mergitur, Paris s'insurge contre Mazarin
Les 5000 à 6000 libelles parus sous la Fronde entre 1648 et 1653, désignés dès l'origine comme des "mazarinades", investissent des formes et des genres nombreux. Si certains sont dus à des auteurs opportunistes, poussés par des imprimeurs-libraires avisés, beaucoup émanent d’officines installées auprès des grands acteurs politiques dont ils servent les stratégies de communication, comme autant de témoins de la théâtralisation de l'action politique au milieu du XVIIe siècle.
Au sein de ce corpus, le placard, outil privilégié de ces stratégies, qu’il s’agisse de fournir une information factuelle, d’afficher une prise de position, de diffamer un adversaire, fait figure de rareté. On n’en connaît qu’une soixantaine, dont une trentaine réellement conservés. Cent ou deux cents, tout au plus, pourraient avoir été affichés durant la Fronde. Le recours modéré, mais judicieux, à cette forme, lui conserve toute sa fonction, qui est de frapper les esprits. De fait, visibles quelques heures seulement sur leur lieu d’affichage (ponts, portes d’églises ou de bâtiments publics, intersections de rues) avant d’être enlevés par une faction opposée, ces placards ont abondamment été commentés par les contemporains. La majeure partie est imprimée mais certains ne sont connus que par des copies manuscrites, et n’ont peut-être jamais été imprimés.
Le salut de la France dans les armes de la ville de Paris est daté du début du blocus de Paris (janvier-mars 1649), période qui offre les conditions favorables à un déferlement de libelles, majoritairement orientés contre Mazarin et ses collaborateurs. Alors que la Cour est brusquement partie pour Saint-Germain dans la nuit du 5 au 6 janvier, que Mazarin a été déclaré « ennemi du roi et de l'État » et « perturbateur du repos public », dans la capitale insurgée, encerclée par les troupes royales, les composantes de la Fronde parisienne s’unissent et s’organisent (rapprochement de l'Hôtel de Ville et du Parlement, constitution d’une armée dont les généraux sont les princes frondeurs). C’est ce qu’illustre ce placard.
En raison de la compartimentation et de la réglementation des métiers d’imprimeurs et de graveurs, les mazarinades, à l’instar de la presse et des occasionnels, contiennent très peu d’images. Leurs lecteurs se chargent parfois eux-mêmes d’y associer des images pertinentes mais exogènes, par exemple les portraits gravés des personnalités du temps, comme ceux que met judicieusement en vente Balthazar Moncornet. Les rares images faisant partie intégrante de mazarinades ont pourtant vraisemblablement eu un fort impact, bien voulu, notamment sur le public populaire.
Le bois gravé représentant Le salut de la France dans les armes de la ville de Paris met en avant l’union des généraux, des édiles de la Ville et des magistrats du Parlement, en combinant les registres héraldique (la nef des armoiries de Paris) et allégorique (gouvernail / gouvernement). Le Génie tutélaire de la France, dont ces protagonistes se veulent les représentants, protège leur bon gouvernement contre les manœuvres « du Mazarin » et de ses « monopoleurs » qui incarnent le mauvais gouvernement. Un parallèle menaçant est établi entre Mazarin et Concino Concini, favori de Marie de Médicis assassiné trente ans plus tôt, également marquis d’Ancre, qui cherche naturellement à envoyer la nef par le fond.
Même si elle n’est pas sans évoquer les codes de l’emblème (place prédominante de l’image, au-dessous d’une devise et au-dessus d’une subscriptio), cette allégorie rudimentaire s’en distingue par son immédiate lisibilité, renforcée encore par la légende qui vient identifier les personnages représentés, et par sa fonction, qui est de toucher et convaincre le public le plus large.
Accéder au document / Accéder à la notice de la Bibliographie des Mazarinades
La Bibliographie des mazarinades, sur laquelle s’adosse la numérisation sélective de la riche collection de la Bibliothèque Mazarine, a été inaugurée en mai 2019.
Anne Weber, Christophe Vellet (Bibliothèque Mazarine)
Bibliographie :
- Christian Jouhaud, La Fronde des mots, Paris, Aubier, 1985 (Collection historique).
- Hubert Carrier, La presse de la Fronde (1648-1653) : les mazarinades. Vol. 1 : La conquête de l’opinion ; vol. 2 : Les hommes du livre. Genève : Droz : [Paris] : [diff. Champion], 1989-1991.
- Lucie Galactéros de Boissier, « Estampes frondeuses et images de la Fronde apaisée. Les pertinences de l’allégorie », dans La Fronde en questions, Aix-en-Provence : Université de Provence, 1989, p. 193-208.
- Christophe Vellet, « Quelques images de la Fronde des mots : les mazarinades », dans Images & révoltes dans le livre et l'estampe (XIVe - milieu du XVIIIe siècle), Paris, Bibliothèque Mazarine et éd. des Cendres, 2016, p. 203-216.