L'esclavage et sa dénonciation à travers les sources manuscrites et imprimées du legs Châtillon
Au XVIIe siècle, les Français s'implantent progressivement aux Antilles, notamment à la Guadeloupe, à la Martinique, à Saint-Domingue. A partir des années 1660, l'immigration volontaire d'engagés ne suffit plus au développement de la culture du sucre, du café, du cacao, du coton, de l'indigo, ressources très prisées en Europe.
En 1642, un édit de Louis XIII autorise la traite négrière. En 1685, un édit du Roi "touchant la police des isles de l'Amerique françoise" codifie l'esclavage dans les colonies. Celui-ci étant interdit dans le royaume, l'édit n'est enregistré que par les Conseils souverains des colonies et n'est pas imprimé avant 1742, date à partir de laquelle paraissent sous le nom de "Code noir" les recueils des dispositions juridiques relatives aux colonies. Le dernier arrêt du conseil sur ces matières datant du 5 juin 1785, l'édition de 1788, publiée à la veille de la Révolution (l'année même de la création de la Société des amis des Noirs) est la plus complète. Elle est aussi la plus rare.
Depuis les ports de Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Le Havre, un circuit commercial reposant sur différents acteurs, armateurs, capitaines de navires négriers, colons propriétaires, se met en place. Des captifs africains sont échangés contre différents produits européens (armes à feu, textiles, produits manufacturés divers) puis transportés par-delà l'océan jusque dans les colonies où ils sont vendus, ou échangés contre les denrées tropicales destinées à l'Europe.
![]() |
![]() |
![]() |
Collection des fruits des Isles sous le vent de l'Amérique (cote Ant Ms 5) |
(cote Ant 16° 232 [Res]) |
Entraves utilisées sur les navires négriers (cote Ant Ms 13-10) |
A partir de 1750, des voix fortes s'élèvent contre la traite et l'esclavage. En France, les premières dénonciations passent par l'Encyclopédie (où elles coexistent avec des textes émanant de colons esclavagistes, comme Jean-Baptiste Pierre Le Romain). Elles sont formulées par Étienne Noël Damilaville dans l'article « Population », et surtout par Louis de Jaucourt, le principal collaborateur de Diderot et D’Alembert, dans l'article "Traite des Nègres" (vol. 16, p. 532) : « un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine ». Dans son Histoire philosophique et politique… dans les deux Indes (1770), publication clandestine et succès de librairie, l'abbé Raynal condamne l'esclavage avec véhémence.
Le 19 février 1788, Jacques-Pierre Brissot de Warville et Étienne Clavière, qui sont en contact avec les abolitionnistes anglais Thomas Clarkson et Granville Sharp, fondent, à l’imitation de la Society for effecting the abolition of the trade slave, une société baptisée par la suite Société des amis des Noirs. Cette société défend un abolitionnisme progressif, la suppression immédiate de la traite, le maintien provisoire de l'esclavage. La Fayette, qui en est membre, écrit le 5 février 1791 : « Puisse notre constante, mais prudente philanthropie, améliorer le sort des noirs, et préparer leur affranchissement graduel : car, n'en déplaise aux monopoleurs de liberté, tous les hommes doivent un jour être libres, et ils le seront ». Le registre de délibérations de la société, dont l'édition électronique est en cours (janvier 2018), témoigne de la pensée et de l'action de ses membres, parmi lesquels on compte aussi Condorcet et l'abbé Grégoire.
Par le décret du 15 mai 1791, la société obtient l'égalité des blancs et des hommes de couleur libres dans les colonies. Elle se heurte cependant à de puissants intérêts économiques et, à partir de l'été 1793, n'a plus d'existence réelle. La révolte de Saint-Domingue, menée par Toussaint Louverture, contribue à accélérer le processus législatif. L'esclavage est aboli le 4 février 1794. Rétabli en 1802, il est définitivement interdit en 1848, une trentaine d'années après la traite.
Anne Weber, Bibliothèque Mazarine
![]() |
Billet de La Fayette pour renouveler son abonnement à la Société des Amis des Noirs (cote Ant Ms 13-11) |